2.6.4 Utilisation d’œuvres faisant partie du domaine public

Une fois expiré le délai de protection par le droit d’auteur, les œuvres tombent dans le domaine public. On peut les utiliser comme on veut. Il est permis de les reproduire intégralement, de les mettre en ligne, de les exploiter commercialement, etc. Selon l’opinion dominante de la doctrine, les droits moraux s’éteignent également à l’expiration du délai de protection. Concrètement, cela veut dire que si l’œuvre d’autrui est tombée dans le domaine public, on peut par exemple la divulguer si l’auteur lui-même ne l’a pas déjà fait. Il est même permis de publier l’œuvre d’autrui sous son propre nom. Les bonnes pratiques scientifiques posent toutefois des limites très claires à cet égard. Par exemple, la personne qui dépose sous son propre nom une thèse tombée dans le domaine public se rend coupable de plagiat.

De plus, on désigne par les termes de «copy fraud» ou de «détournement de droits d’auteur» l’acte de s’approprier de manière illégitime des droits d’auteur en publiant sous son propre nom une œuvre d’autrui tombée dans le domaine public, suggérant ainsi qu’elle est encore ou de nouveau protégée (p. ex. mettre en ligne une œuvre du domaine public avec une licence Creative Commons qui interdit un usage commercial de l’œuvre). Il est certes admissible en principe de publier sous son propre nom une œuvre tombée dans le domaine public. Mais une œuvre dont la protection par le droit d’auteur a cessé ne peut en aucun cas être dotée d’un nouveau droit d’auteur, si bien qu’une restriction de quelque nature à son utilisation n’est pas admissible.

BON À SAVOIR

Protection de la mémoire – protection de la personnalité pour les œuvres tombées dans le domaine public

En droit suisse, les droits de la personnalité s’éteignent en principe au décès de la personne concernée, exception faite des droits moraux des auteurs, qui survivent à ces derniers pendant 70 ans (50 ans pour les logiciels). Concrètement, quelles implications cela a-t-il, par exemple, pour la photo d’une personne décédée quand cette photo est tombée dans le domaine public parce que le photographe est mort depuis plus de 70 ans? Comme la photo est dans le domaine public, elle peut en principe être utilisée sans restriction. Aucune autorisation n’est plus nécessaire, et, comme les droits moraux de l’auteur s’éteignent également 70 ans après son décès, la photographie, si par exemple elle n’a pas encore été divulguée (art. 9, al. 2 LDA), peut maintenant l’être ou peut être modifiée (art. 11, al. 1, let. a LDA ). Mais cela n’est pas valable sans limite: en effet, même si les droits de la personnalité tant du photographe que de la personne photographiée se sont éteints, la loi reconnaît une certaine protection des survivants de la personne décédée, protection qui dérive de leur propre droit de la personnalité. Concrètement, il s’agit de la protection du souvenir qu’ils gardent de la personne décédée. Ainsi, un parent de la personne photographiée décédée peut être lésé de façon inadmissible lorsque la représentation de cette personne est diffamée. Dans le contexte des droits d’auteur sur une telle photo, il peut donc arriver que la photo soit certes tombée dans le domaine public, mais qu’en raison de la protection de la mémoire de ses proches elle ne puisse pas être librement utilisée. Car les proches pourront se défendre sur la base de leur propre droit de la personnalité au cas où une utilisation dégradante de l’œuvre porterait atteinte à leur souvenir de la personne décédée. (ATF 109 II 353, 359)

FAQ

2.6.4-2 Quand prend fin la durée de la protection d’un journal? Et celle d’un article particulier du journal?

Un journal se compose régulièrement de plusieurs œuvres (articles, images, etc.); étant donné le choix ou la disposition des œuvres qu’il contient, il remplit les conditions (art. 2, al. 1 1 en combinaison avec l’art. 4, al. 1 LDA ) pour être une œuvre protégée en elle-même (recueil, art. 4 LDA). Quant aux œuvres contenues dans le journal, elles sont elles-mêmes protégées indépendamment (art. 4, al. 2 LDA) à condition de satisfaire elles aussi aux exigences de l’art. 2, al. 1 LDA. Pour répondre à la question des durées de protection, Il faut donc faire une distinction entre le journal comme un tout et les articles et images qu’il contient.

Pour la durée de protection du journal: L’auteur d’un recueil est forcément une personne physique (auteur initial, art. 6 LDA), qui peut cependant céder ses droits à une maison d’édition – généralement dotée de la personnalité juridique. En principe, le délai de protection d’une œuvre se calcule toutefois toujours selon la date du décès de l’auteur ( art. 29 ss LDA ). La protection du journal par le droit d’auteur cesse donc 70 ans après le décès du rédacteur en chef initial. L’éditeur en tant que titulaire possible des droits sur le journal n’est toutefois pas totalement privé de moyens: il est protégé par la loi contre la concurrence déloyale ( LCD). L’art. 5 LCD protège l’éditeur du journal dans la mesure où la personne qui reprend ou exploite, sans sacrifice correspondant, une reproduction du résultat du travail d’un tiers prêt à être mis sur le marché (= le journal) agit de façon déloyale et peut s’attendre à des sanctions (art. 9 ss LCD ).

Pour la durée de protection d’un article de journal: Pour les différents articles du journal également, la durée de la protection se calcule selon la date du décès de l’auteur respectif – en principe 70 ans après son décès (art. 29, al. 2 LDA ) –, indépendamment du fait qu’il ait ou non cédé ses droits à la maison d’édition.

2.6.4-3 Une bibliothèque a-t-elle le droit de reproduire et de mettre en ligne un journal dont la parution a cessé il y a 50 ans à cause de la faillite de la maison d’édition?

Ici, la prudence est de mise! En principe, la mise en ligne est un droit exclusif de l’auteur et nécessite son consentement. Sans ce consentement, un journal peut toutefois être numérisé et mis en ligne si les droits d’auteur sur ce journal se sont éteints, ce qui est le cas lorsque l’auteur initial, le rédacteur en chef du journal, est mort depuis plus de 70 ans. En matière de droit d’auteur, peu importe que la maison d’édition, en tant que personne morale, se soit vu céder les droits par l’auteur ou soit devenue son ayant droit par succession. Même si le journal a cessé de paraître il y a cinquante ans, on ne sait pas si le rédacteur en chef est décédé depuis plus de 70 ans. Par conséquent, il vaudra mieux que la bibliothèque s’abstienne de mettre le journal en ligne.